Sabotage!
– Papa! Je saigne là!
– Ah! t’es menstruée. Ta mère va bientôt r’venir. Mets quelque chose pour absorber en attendant.
– …
Une heure plus tard :
– Maman, j’suis menstruée!
– [Ah non! qu’est-ce que je vais lui dire?] T’es une grande fille maintenant! [Je me sens mal, qu’est-ce que je vais lui dire?]
– OK! c’est bon…
La fille a senti que ni son père ni sa mère ne voulaient prolonger l’épisode. Elle a senti leur inconfort… qui lui a littéralement traversé l’âme. C’est comme si le plancher s’était retiré de sous ses pieds.
Cette expérience vient s’ajouter à toutes les autres. La prof, l’autre jour, est devenue super mal à l’aise quand elle a parlé des menstruations, au cours de bio. Les filles à l’école en parlent en chuchotant, comme si c’était un secret, comme si c’était honteux. Y’en a une, l’autre jour, qui a fait une grimace de dégoût…
Le moment des premières règles est décisif pour la fille. Elle a la confirmation qu’elle est femme : elle menstrue. De plus, puisqu’elle est en train de vivre sa première cataménia, elle est particulièrement réceptive ou sensible aux informations subtiles dans son environnement.
L’inconfort de ses parents ne passe pas inaperçu. Mais elle ne comprend pas ces vibrations qu’ils dégagent… comme celles des autres adultes, d’ailleurs. Ça semble faire consensus dans la société que c’est un sujet embarrassant. C’est vraiment traumatisant, car c’est justement vers le monde des adultes qu’elle se dirige. La fille a la confirmation à la fois qu’elle est femme (elle saigne) et qu’il y a quelque chose de pas correct à être menstruée.
On aura beau lui dire : « Ah félicitations! Tu es une femme maintenant », elle percevra tout de même les messages négatifs sur les règles. Ce double message crée de la confusion dans son esprit.
L’idée Mon corps a quelque chose de pas correct se cristallise alors dans sa psyché. Elle sait que ce quelque chose de pas correct est relié à son corps, à son ventre. Cette idée pour elle n’est pas claire, mais quand même très présente – je dirais même structurante.
De là la fragmentation de l’identité. L’image du corps est désormais divisée en deux : ce qui est correct et ce qui n’est pas correct. Cette coupure va se loger dans l’inconscient, car elle est trop douloureuse pour être acceptée consciemment. La zone pelvienne devient une zone grise dans l’image corporelle, un lieu que la conscience aura désormais tendance à éviter. Dommage, parce que le lien à la Terre passe par le ventre avant de passer par les jambes et les pieds.
Dans ce processus, la fille est expulsée de son centre. Dorénavant, elle s’évaluera à partir de l’extérieur, misant sur le regard des autres pour se valoriser. Elle pourra facilement développer une obsession avec son apparence. Plusieurs commencent justement à la ménarche un cycle de dépression ou de comportements alimentaires désordonnés.
La mère – ou la figure maternelle – est généralement la personne que la fille va voir quand les premières règles se produisent. C’est normal, c’est elle qui l’a assistée lors de ses crises hygiéniques, p. ex. l’apprentissage à la toilette.
Sauf que la mère voit resurgir à ce moment-là, comme un pop-up venant de son inconscient, tout ce qu’elle n’a pas revisité depuis ses premières règles. Elle n’a jamais repensé à cette coupure, à cette blessure. Elle ne l’a jamais revisitée à fond. Alors, tout ce qui reste de non visité par rapport à cet événement tend à remonter à sa conscience. Il peut y avoir de fortes émotions dans ce réservoir, dont la colère… devenue rage, puis haine, puis honte, puis honte d’avoir honte. En particulier la colère par rapport à sa propre mère. On pourrait presque dire que la grand-mère maternelle est présente lors de la ménarche de sa petite-fille.
Du côté de la fille, que se passe-t-il? De façon pas tout à fait consciente, elle verra sa mère comme une saboteuse.
Plus tard, quand elle découvrira le plaisir sexuel, le désir d’intimité physique avec un autre être et toutes ces choses dont ses parents ne lui ont pas parlé, et quand elle vivra du harcèlement ou des abus sexuels, elle leur en voudra. Particulièrement à sa mère qui ne l’aura pas renseignée, pas protégée. La fille sait que sa ménarche aurait pu être un moment pour consolider leur relation, pour profiter de la sagesse des femmes. Au contraire, elle se sent trahie.
J’aimerais te raconter un p’tit bout d’histoire. Ça se passait au début du 20e siècle, au Québec et dans la région des Grands Lacs – Ontario et É-U. Des médecins firent paraître une encyclopédie médicale, dont le but était de diriger les mères vers les experts en médecine pour toutes sortes de questions concernant la santé des membres de la famille.
Cette encyclopédie qui fut très populaire, rééditée plusieurs fois en français et en anglais, conseillait aux mères de ne pas parler des menstruations à leurs filles prépubères, mais plutôt de les orienter vers le cabinet médical. C’était au début de l’époque des experts, de ces hommes qui se réclamaient de la science mais qui, en réalité, ne savaient pas grand-chose.
Le dialogue mère-fille gravitant autour de la puberté, des règles et de la fertilité, déjà maigre à l’époque, tomba pratiquement à zéro dans nos régions.
Prenant pour exemple type le scénario présenté ci-dessus, ce qui se passe lors de la ménarche dans la relation mère-fille est un ravage. Mais du point de vue de la fille, c’est carrément un sabotage. Plus tard, elle n’hésitera pas à saboter la vie des autres femmes, car son expérience avec sa mère sera devenue le pattern, le modèle de ses relations avec les autres femmes.
J’ai toujours été surprise de voir à quel point les femmes se bitchent entre elles. Je l’ai observé surtout dans des milieux de travail. Ici, on tombe dans les effets non plus psychologiques d’une ménarche ratée, mais dans ses effets sociaux, voire politiques – diviser pour mieux régner.
Ce portrait est déprimant. Je ne voudrais pas te déprimer, surtout en ce temps de l’année (novembre). Je veux juste te montrer à quel point on oublie nos filles au moment de leur puberté. Là je ne t’ai même pas parlé de ce qui se passe dans les écoles! Ça, ça te donnerait un coup. On va s’arrêter là.
Il existe des solutions. Je les offre dans l’atelier Une belle ménarche pour ma fille. Si tu veux être avertie des prochaines dates d’ateliers et que tu ne l’as pas encore indiqué dans tes préférences, clique sur le lien « Modifier vos préférences » ci-dessous.
En attendant, tu peux regarder les vidéos sur la ménarche dans la page de mon site https://www.treizemeres.com/theme-menstruations/la-menarche-et-leducation-menstruelle/
La relation avec le père autour de la ménarche est un autre sujet intéressant, que j’aborderai dans une autre infolettre. J’ai hâte de t’en parler.
Donne-moi ton avis sur ce que tu viens de lire. Je veux m’engager dans un dialogue avec toi.