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Infolettres

La descente d’Innana

18 janvier 2023

As-tu entendu parler du trouble dysphorique prémenstruel, ou TDPM? Catégorie diagnostique spécifique aux femmes ayant fait son chemin dans la liste officielle des troubles mentaux, c’est en quelque sorte un « SPM » grave. (J’entoure toujours ce terme de guillemets, car il s’agit d’un faux concept inventé par la médecine.) Aujourd’hui, un certain nombre de femmes reçoivent ce diagnostic psychiatrique parce qu’elles ont de la difficulté à vivre normalement au cours de la période précédant leurs règles, à cause d’états dépressifs ou de comportements hostiles et agressifs.

Il s’agit pourtant d’une crise psychospirituelle qu’on aurait tout intérêt à traiter comme telle.

Le mythe sumérien La descente d’Innana aux enfers illustre bien les enjeux et les voies de résolution de cette crise. Il décrit le cheminement des femmes qui doivent régulièrement plonger dans leur monde intérieur afin de préserver leur équilibre et leur santé mentale.

Innana est une déesse stellaire. Elle vit dans le « monde d’en haut ». Dans le mythe, elle entreprend une descente dans le monde souterrain, le « monde d’en bas ». Sa sœur, la déesse noire – ou nocturne – Ereshkigal, qui règne sur ce monde représente l’inconscient d’Innana. Tout ce qui pénètre au-dessous de l’horizon de la conscience est de son domaine.

Avant d’entreprendre son voyage, Innana demande à sa fidèle servante Ninshubur d’aller chercher de l’aide si jamais elle n’est pas revenue au bout de trois jours.

Devant se dépouiller de ses vêtements, accessoires, bijoux, etc. aux différentes portes protégeant la demeure d’Ereshkigal, elle arrive finalement toute nue devant la déesse des enfers.

Ereshkigal jette un regard de mort à Innana. Ce regard est transpersonnel, en ce sens qu’il ne s’adresse pas à la personne d’Innana, mais à son âme. C’est un regard détaché, celui de la nature.

Puis Innana est suspendue à un crochet de boucher (ou empalée sur un pieu, selon les versions) et est laissée là, à pourrir comme de la viande. Cette phase du mythe est caractérisée par la lenteur, signifiant que la patience est de mise.

Au bout de trois jours, Innana n’étant pas revenue, Ninshubur va voir le berger Dumuzi, mari de la déesse, pour lui demander de l’aide. Celui-ci continue de fêter et ne se préoccupe pas de son épouse (pas plus que de ses enfants d’ailleurs). Finalement, Ninshubur réussit à se faire entendre et à éveiller la compassion chez Enki, dieu de la créativité et des eaux souterraines.

Enki sculpte deux petits personnages asexués à partir de la poussière qui se trouve sous ses ongles et leur donne des eaux nourrissantes pour la déesse. Ces petits êtres lamentateurs et chanteurs – tel que leur nom l’indique – vont à la rencontre des deux déesses. Ils entrent en résonance avec la souffrance d’Ereshkigal et la chantent. La déesse des profondeurs est en effet entrée en sympathie avec la souffrance d’Innana, démembrée et en état de pourriture avancée. Le chant et les eaux d’Enki redonnent vie à Innana, qui peut dès lors retourner à la surface de la terre et dans le monde d’en haut.

Mais Ereshkigal pose une condition à sa libération : une personne doit être sacrifiée en remplacement d’Innana. Celle-ci désigne son mari Dumuzi qui ne s’est pas préoccupé d’elle et décide de l’envoyer aux enfers. Mais la sœur de Dumuzi intervient et finalement, ce seront Dumuzi et sa sœur qui séjourneront en alternance – chacun six mois l’an – dans le domaine d’Ereshkigal. Voilà l’essentiel du mythe.

Innana est une figure majeure de la mythologie sumérienne. Elle est pleine de joie de vivre et manifeste toute la gamme des sentiments et affects. Elle symbolise la conscience des transitions et des lieux frontières qui impliquent la créativité et l’abandon de soi aux processus de transformation.

Ereshkigal vivait autrefois à la surface de la terre en tant que déesse des cycles de la nature. Elle a été repoussée dans le monde des profondeurs par le patriarcat pour lequel elle est devenue symbole de crainte de la mort. Elle représente entre autres les instincts à l’état brut.

Nous avons ici un symbole d’action dans le monde extérieur et un autre d’action dans le monde intérieur. Elles correspondent aux deux pôles du cycle menstruel : le pôle ovulatoire pour Innana et le pôle menstruel pour Ereshkigal. Ce dernier pôle comprend le moment charnière où un cycle finit et un autre commence. C’est la cataménia, ce grand moment d’ouverture de l’inconscient auquel on ne peut échapper – à moins de jouer avec des hormones synthétiques et autres substances qui modifient la chimie du cerveau.

L’ouverture de l’inconscient amène à la conscience des mémoires du passé ou d’autres vies, elle impose des liens qui ne nous avaient jamais effleuré l’esprit avant, etc. Mais plus que ça : on peut aller jouer directement dans notre programmation, notamment celle de notre identité.

Ça a dû te sauter aux yeux que le mythe d’Innana dépeint un processus profond. La personnalité de la déesse disparaît complètement au profit d’une indifférenciation extrême, d’un démembrement total : elle pourrit, elle meurt.

Cela implique évidemment qu’à un moment donné elle ne sait plus qui elle est. Toi aussi tu peux aller dans des endroits/moments de ton être où tu ne sais plus qui tu es. Tu te laisses glisser là-dedans, car tu sais que tu reviendras. Voilà en quoi tu ressembles à Innana-Ereshkigal pendant la cataménia, en ces moments spéciaux hors du temps qui se concluent par une régénération et de petits événements magiques.

La programmation qui a le plus d’impact dans notre vie est celle de notre identité. La cataménia a cet avantage qu’elle te permet de faire une mise à jour de ton identité. Tu as la possibilité de la reprogrammer, justement à cause de ces contenus inconscients qui se présentent à ta conscience autour du début de l’écoulement. Cette fenêtre d’opportunité survient régulièrement, ce qui est illustré à la fin du mythe d’Inanna par le séjour régulier en enfer de Dumuzi et sa sœur. (Il s’agit ici d’un cycle d’un an, mais le cycle mensuel/menstruel a été projeté sur l’année dans de nombreuses cultures, de la même façon qu’il a été projeté sur la semaine dans d’autres, p. ex., là où le Sabbath était la menstruation de la déesse.)

Tu peux même reprogrammer le cœur ou le centre de ton identité. Oui, tu peux aller jusque-là si tu n’as pas peur et si tu es bien accompagnée, en ce sens que tu bénéficies d’une forme d’empathie – comme celle d’Enki, de Ninshubur et des petits personnages – pour chanter ta souffrance. En attendant, tu peux juste te pratiquer en t’approchant tranquillement de ce cœur.

En grandissant, on se construit un moi idéal et on veut lui ressembler, car on croit qu’on obtiendra l’amour de cette façon. C’est le programme du patriarcat pour les femmes. C’est le programme que nos parents et autres éducateurs nous ont entré dans le cœur, la tête et le corps sans qu’on s’en rende compte. Ce sont les modèles présentés à répétition par les médias.

Or, non seulement le moi idéal est-il inatteignable – ce qui nous laisse généralement avec l’impression qu’on n’aura pas droit à l’amour –, mais il nous nuit dans la plupart des cas.

Je te propose un exercice qui facilitera la reprogrammation de ton moi idéal. Il n’a pas un effet direct, en ce sens qu’on reste à la surface, dans le conscient, mais c’est un travail préparatoire super puissant qui implique le discernement.

L’exercice consiste à faire le tri dans les contenus de ton moi idéal, de discerner ce qui t’aide de ce qui te nuit. Il te sera ensuite plus facile, lors de tes descentes, de défaire des nœuds dans ton énergie et de profiter des forces ainsi éveillées.

Il y a aussi la question de l’expression des émotions, surtout la colère. Ce n’est pas bien d’exprimer sa colère quand on est une femme. Souvent on la garde en dedans, sauf que cette émotion a un rôle important dans la vie : elle nous fait prendre conscience de nos limites et amène tant soi-même que les autres à les respecter. Elle sauvegarde notre dignité. Bien sûr, il n’est pas question d’utiliser la colère pour intimider ou pour manipuler, mais bien pour remettre en place ce qui ne l’est pas.

Depuis un demi-siècle, on fait miroiter aux femmes qu’elles ne seront heureuses que si elles réussissent au niveau professionnel. Sauf que le monde public exige de refouler ses émotions et ses instincts. Idem à la maison et dans l’intimité, avec les enfants et le partenaire sexuel. Tout ce contenu va se loger dans l’inconscient et s’agglomère avec des contenus semblables, formant des constellations assez denses, de vrais nœuds qui tuent la joie de vivre.

Il est des moments dans la vie où l’on doit rencontrer ces contenus, à défaut de quoi nos relations se détériorent, un mal-être généralisé s’installe ou on tombe carrément malade, physiquement ou mentalement.

D’une façon générale, les énergies vitales des femmes ont tellement été circonscrites dans des rôles et réprimées par la loi patriarcale, par le christianisme, puis par l’utilitarisme, qu’elles ne peuvent faire autrement que de rejaillir. C’est ce qui se produit maintenant.

Ce ne sont pas seulement les énergies vitales des femmes qui sont accablées par l’ombre des dieux et les idéaux patriarcaux : ce sont aussi la sensibilité ludique, l’allégresse et les relations d’empathie. À un moment donné, on se libère de l’attraction des idéaux qui violent notre féminité – on cesse d’être attirées par le moi idéal –, et on considère ces idéaux comme les ennemis des femmes et de soi-même.

Les féministes spiritualistes prennent au sérieux le traitement des énergies vitales des femmes et revalorisent les qualités féminines qui ont été supprimées ou étouffées. Ainsi, le sacré refait surface, notamment dans des cercles de femmes.

L’éducation prodiguée dans les centres de femmes aide aussi les participantes à sortir du cercle vicieux de l’autoculpabilisation en leur montrant que le problème n’est pas que personnel, qu’il est sociétal.

De plus, dans certaines cliniques s’épanouissent des relations de confiance entre femmes et psychothérapeutes, des liens qui assurent la descente et le retour des filles d’Innana en toute sécurité. S’il est vrai que la prise d’antidépresseurs et de contraceptifs oraux ferment le troisième œil, ce seraient décidément des voies à éviter. Vaut mieux descendre dans nos profondeurs, inspirée par le mythe d’Innana-Ereshkigal et revenir avec la joie et une vitalité retrouvée. Surtout le faire régulièrement, le plus souvent possible, en profitant de la superbe fenêtre d’opportunité qu’est l’état cataménial