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Infolettres

Sexy lady

4 janvier 2023

Sexy Lady : deux mots qui vont ensemble? Je ne crois pas. Pas selon mon éducation.

Sexy s’applique à une personne qui excite le désir. Qui est attirante, séduisante, provocante, aguichante, bandante. Dans le cas où il s’agit d’une femme, ce terme évoque aisément la putain, celle qui fait basculer les hommes dans l’infidélité, fragilisant ainsi la famille et donc la société. Il évoque la salope, la délurée, la traînée, la femme facile, la slut. C’est la femme impure.

La lady est plutôt distinguée, tout le contraire de la vulgaire. Elle évoque la noblesse. Elle est bien habillée, a une belle contenance, un maintien gracieux. Elle contrôle ses instincts. Elle mange et boit modérément. Si on arrive à imaginer qu’elle puisse avoir une vie sexuelle, celle-ci doit être modérée et circonscrite dans les limites du bon goût. Elle peut faire ce qu’elle veut dans le privé – même mener une vie des plus dépravée –, son image sociale, celle qu’on nous sert, reste celle de la femme pure.

Autour de la puberté, quelque chose de central s’est joué dans mon identité. J’ai été contrainte de choisir entre être une femme pure ou une femme… (reprenons les termes de l’avant-dernière phrase de l’avant-dernier paragraphe).

Éduquée par une mère hyper catholique et formatée par les films qui jouaient à la télévision à ce moment-là, il est bien évident que j’ai choisi de m’identifier à la femme pure : la bonne et non la mauvaise. L’esprit chrétien méprisait la femme impure. Les films à la télé la malmenaient : la jeune célibataire tombait enceinte et devait s’exiler le temps de sa grossesse et de son accouchement, rejetée par toute la communauté. La femme adultère aussi était châtiée. C’est dans ce contexte idéologique que j’ai choisi d’être la femme pure.

Un tel départ dans la vie sexuelle n’est pas de bon augure. On se surveille constamment et on juge sévèrement les femmes qui ne correspondent pas à l’idéal qu’on s’est donné soi-même. Je me souviens d’avoir détesté une voisine de mon âge parce qu’elle était trop « lousse ».

Pourquoi je te parle de tout ça? Parce que je suis aux prises avec une attitude sexuelle passive. J’ai toujours été comme ça, mais là ça me bogue. J’aimerais changer, et tu vois, ça me fait revisiter mon passé.

Quand je viens pour prendre les devants, le spectre de la mauvaise femme se présente à mon esprit. Comme si le fantôme de la putain apparaissait au haut de l’escalier montant du sous-sol. Comme si je n’avais pas la permission d’initier l’activité sexuelle. J’ai peur d’elle, j’ai vaguement peur de ne pas être aimée, d’être rejetée si je fais les premiers pas.

Dans les livres de spiritualité orientale, on parle du yin et du yang. On y présente le yang comme le principe masculin et actif, et le yin, comme le principe féminin et passif. Cela renforce la tendance à ne pas s’impliquer activement dans – ou à ne pas initier – la relation sexuelle.

J’ai le goût de remonter aux sources du phénomène pour désamorcer cette emprise du fantôme.

Dans l’éducation sexuelle, on ne parle pas aux filles du plaisir ni du désir. On leur parle plutôt du danger : ITSS, possibilité de tomber enceinte, etc.

Pourtant, dès l’approche de la puberté, avec la sécrétion des androgènes – dont la testostérone –, il est normal que les filles éprouvent du désir. À partir de l’adolescence, les fluctuations d’hormones dites féminines génèrent des sommets d’appétit sexuel qui se présentent lors de la cataménia et autour de l’ovulation. L’absence de ce sujet dans l’éducation des filles fait en sorte que leur expérience n’est pas validée socialement. Leur désir est occulté, voire donné comme illégitime.

Idem pour le plaisir. On ne lui en parle pas. Le clitoris est occulté dans le langage courant et, même s’il est aussi volumineux qu’un pénis, on continue de l’ignorer ou de le réduire à un tout petit organe dans les illustrations d’anatomie.

Cette absence de validation sociale du désir et du plaisir sexuels se superpose à quelque chose de bien plus profond encore : l’occultation des organes mêmes. Ici, c’est la conscience du corps qui est atteinte, et ce, de façon durable.

On ne réalise pas à quel point les premières règles sont importantes sur le plan psychologique. Le cœur de l’identité se cristallise à ce moment-là. Ce n’est pas rien. La fille sait qu’elle est une femme. Le sang le confirme. Sauf que l’inconfort des adultes face à ce sujet amène les filles à penser que cette partie de leur corps n’est pas correcte. L’absence de vocabulaire de même que ce malaise des adultes font en sorte que les organes génitaux deviennent une zone grise dans l’image corporelle des filles nouvellement femmes.

Qu’on ne s’étonne pas qu’elles deviennent passives dans leur sexualité. Qu’on ne s’étonne pas non plus qu’elles ne prennent pas en main leur contraception. Comment peut-on être responsable de ce que l’on n’a pas, de ce qui ne fait pas partie de l’image de soi?

On pourrait croire que les choses changent ou ont changé, que les jeunes ont une attitude différente. Il semble que non. Les films renvoient maintenant des images de femmes qui semblent être des agentes actives de leur propre sexualité. Mais ces images ne reflètent que des vœux pieux. Comme s’il suffisait de montrer des images pour défaire ce qui s’est installé au cœur de l’identité.

En réalité, oui, on présente le plaisir et le désir des femmes, mais seulement dans un contexte d’objectification, jamais du point de vue intérieur ou motivé par un mouvement de l’âme. Dans la pornographie, les actrices jouent le scénario qui leur est dicté. Les femmes qui regardent ces films ne font que se conformer à ces stéréotypes. Même chose dans la relation avec des hommes qui font leur éducation par la porno. La femme fait ce que l’homme attend d’elle.

Comment sortir de là? Ce serait intéressant que les femmes s’approprient leur zone sexuelle. Elles sauraient à quel moment elles sont fertiles en observant leur glaire cervicale. Elles insisteraient sur le port du condom ou autre contraceptif lorsque nécessaire au lieu de céder à la volonté du partenaire qui ignore les implications. Elles seraient plus créatives et pourraient plus facilement créer des danses érotiques. Leur consentement ou non-consentement serait plus clair, moins nébuleux. L’autre personne saurait sur quel pied danser. Que d’avantages!

Mieux encore, elles seraient plus confiantes dans leur capacité à intégrer la spiritualité dans leur vie sexuelle. L’apparence physique prendrait moins d’importance. La respiration et la circulation de l’énergie en prendraient plus. La magie sexuelle, celle intégrée à la vibration du cœur, nourrirait l’intimité.

La sexualité a une grande valeur dans la vie de tout être. Les femmes ont besoin de vie intime, d’échanges intimes. C’est même un antidote à la dépression. Même chose pour le plaisir. Alors qu’attend-on pour cesser de voler aux filles leur sexe?

PS : Mon ami à qui j’ai demandé des commentaires sur cette infolettre avant de te l’envoyer m’a recommandé de changer la dernière phrase par : « Alors, qu’attendent les filles pour prendre leur sexualité en main? » Il a raison, mais je lui répliquerais qu’on leur a enlevé tous leurs moyens. Dans ce dossier, on doit se rendre compte que c’est à des petites filles que nous avons affaire, à des êtres qui se dirigent vers la société, vers un monde où elles auront besoin d’être aimées et acceptées. Ce ne sont pas encore des femmes. Moi je suis une femme et je sais tout cela. Moi je peux prendre ma sexualité en main.