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Infolettres

Colèriage 101

15 mars 2023

En faisant ma recherche sur les troubles prémenstruels, je suis tombée sur un excellent article liant ces difficultés à la colère des femmes. J’y ai puisé quelques références, dont le livre The Anger Advantage, des chercheures Cox, Bruckner et Stabb.

Je me suis procuré ce livre, mais il est resté sur une petite table du salon pendant plusieurs semaines, entouré d’une bizarre d’aura. Il me faisait peur à cause du mot anger reluisant plus que de normale sur la tranche du livre. Donc, pendant plus d’un mois, il est resté là, à ma vue, comme un objet d’appréhension, de hantise floue et persistante. Je n’osais m’en approcher.

Peu après, quelques mois avant le confinement, j’ai vécu la fin de semaine que je t’ai racontée dans ma dernière infolettre (« Le jour où j’ai dit “Fuck you!” ») Si tu l’as lue, tu te souviens sans doute que cette histoire se termine avec la réalisation que je niais ma colère depuis très longtemps.

À la suite de cette prise de conscience qui m’a littéralement terrassée, je me suis résolue à prendre le livre dans mes mains…

puis à l’ouvrir…

puis à lire quelques pages…

Vu qu’il ne m’a pas mordue, je l’ai lu…

et relu.

C’est un ouvrage truffé de témoignages de femmes qui fait ressortir les bénéfices de la colère, défait des mythes tenaces et nous montre des façons d’exprimer cette énergie pour nous permettre d’améliorer nos relations au lieu de les endommager ou de les réduire à néant.

J’ai poursuivi ma recherche en lisant d’autres ouvrages sur le sujet, car j’avais l’impression d’être tombée sur le pot aux roses. Je savais que la raison principale pour laquelle les femmes vont consulter pour les troubles prémenstruels est la colère, l’irritabilité, etc., mais là, le puzzle s’est enfin résolu. Toute la question des troubles prémenstruels me semble maintenant intimement liée à cette question de la colère, mais de colère déviée. J’ai aussi fait une démarche personnelle d’expression saine de ma colère.

C’est de tout cela que je veux te parler dans cette infolettre. Et les deux suivantes.

Dans le titre, le mot Colèriage fait penser à une activité que nous avions, enfant, de remplir de façon personnelle un modèle déjà dessiné. C’est un peu ça que je vais faire, te donner un modèle pour y coucher ton expérience et la voir d’une nouvelle façon, avec des yeux d’enfant, d’ado et d’adulte. De femme aussi.

Mon expérience de la colère

Quand je ressens de la colère, elle monte en moi, comme un volcan en éruption. Ce jaillissement est hyperpuissant. Mais il l’était bien plus avant que je ne revisite des colères refoulées de mon enfance. Ça, je l’ai fait en un premier temps seule, pendant une douzaine d’années (lors d’un transit de Pluton sur ma Lune natale), au moyen de fréquentes catharsis. Puis j’ai continué, accompagnée de l’une de mes meilleures amies qui s’était formée à la thérapie appelée « clarification émotionnelle ».

Il faut dire que j’ai la catharsis facile avec beau un sextile Lune-Pluton dans mon thème astral. Tomber dans le noir, m’abandonner à la chute et en ressortir libérée, transformée. Voilà ce qu’est pour moi une catharsis.

Mon père était violent quand il éprouvait de la colère. Sa vie avait été difficile, car il avait perdu sa mère en bas âge, et elle l’était encore avec les misères d’un travail ouvrier et une dizaine de petites bouches à nourrir et à entendre jouer-crier à son retour du travail. Ses expériences traumatisantes telles que la violence de sa belle-mère et sa participation au débarquement de Dieppe lors de la seconde Guerre Mondiale avaient fait de lui une réelle bombe à retardement.

Mon enfance a donc été marquée par des attaques physiques continuelles. La tienne a sans doute été bien différente. Il reste que notre enfance à tou·tes a été marquée par une structure familiale autoritaire et un système scolaire bafouant certains besoins, comme celui de bouger, alors que nous étions obligé·es de rester assis·es à notre pupitre… et bafouant certaines limites, comme lorsque nous étions humilié·es devant toute la classe… Les structures hiérarchiques se maintiennent nécessairement par la violence.

Le manque de respect se manifeste aussi par l’exclusion sociale, par exemple si on vient d’un milieu socioéconomique inférieur, si on a la peau noire, si on souffre d’un handicap, etc. Je me souviens que les filles de l’école secondaire où je suis atterrie quand ma famille a déménagé de la campagne à la ville me boudaient. Tout ça génère de la colère.

En réalité, tant d’occasions se sont présentées où nous avons été fâché·es du comportement des autres et des injustices dont nous avons été témoin pendant notre enfance et notre adolescence!

Se réapproprier le terme colère

Après avoir vécu l’expérience que je te raconte dans ma dernière infolettre et la prise de conscience qu’elle a générée, j’ai voulu cesser de nier ma colère et voir ce qui arriverait. Commençant rapidement à voir des résultats, je me suis mise à vraiment tripper sur la colère.

J’ai voulu parler de ce sujet à des ami·es et d’autres personnes, mais je me suis butée à la plus grande des incompréhensions. Dès que je prononçais le mot colère, le gens se fermaient. Ça continue. (Merci de ne pas avoir fermé ce courriel.)

Pourtant, la colère est une émotion tout ce qu’il y a de plus naturel… et positif. Elle a pour fonction de nous faire prendre conscience de quelque chose qui ne va pas et nous amener à communiquer avec l’autre pour rectifier la situation. Elle est non seulement utile, mais essentielle. Elle surgit lorsqu’une autre personne attaque notre dignité personnelle ou nous bloque dans les projets qui nous tiennent à cœur, ou quand on est témoin d’une injustice.

On n’a pas besoin de justifier notre colère, pas plus que de justifier d’avoir faim ou soif. C’est une énergie qui émerge de notre être viscéral, pas de notre mental. Elle arrive à notre pensée après qu’on l’a sentie.

Or, on nous a habitué·es à la voir comme une réaction qui cause des dommages. La réaction à l’émotion et l’émotion elle-même sont deux choses différentes. C’est l’expression violente de la colère qui occasionne des dommages, pas la colère elle-même. La plus grande erreur que font les gens par rapport à la colère est de l’associer à l’agression ou à la violence.

L’agression n’est qu’une déviation, un détournement de cette énergie. La personne sent monter en elle l’énergie, mais elle ne veut pas la sentir et s’empresse de la garrocher sur l’autre.

C’est cette façon immature d’exprimer la colère qu’on a enseignée aux garçons et aux hommes. Elle fait partie de leur socialisation. Elle leur donne généralement un ascendant sur les autres, dont les femmes.

À cause de la compulsion quasi universelle à associer colère et agression, cette émotion s’est taillé une très mauvaise réputation. Mais c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Au même titre que n’importe quelle autre émotion – la peine, la joie, la peur, etc. –, la colère est un signe de vitalité. Or, toutes les religions la condamnent. Même dans les milieux spirituels, on la condamne. À notre époque, des raisons d’ordre esthétique s’ajoutent à cette stigmatisation : ce n’est pas beau d’être en colère.

Il est donc important non seulement de se réapproprier le terme colère, dénué de toute référence automatique à la violence, mais aussi de légitimer cette émotion et lui redonner son sens sacré.

La déviation de la colère

Quand la colère surgit, deux options s’imposent. Ou bien on la vit pleinement – je dirais sainement – comme une force rectificatrice, ou bien on la dévie. Il y a de nombreuses façons de la dévier : la refouler, la mettre de côté, la diluer (« Ah! ce n’est pas si grave. »), la mettre de côté en se disant qu’elle passera, la geler, la transférer sur d’autres – p. ex. sur un enfant ou sur une personne inférieure à soi dans la hiérarchie – ou s’en servir pour attaquer la personne qui nous a manqué de respect.

Toutes les déviations de la colère ont des conséquences désastreuses. Elles génèrent un bourbier intérieur qui aura tôt fait de nous rendre malade physiquement ou psychologiquement et donne lieu à des comportements néfastes des plus divers. Surtout, elles nuisent aux relations et nous isolent de plus en plus.

Justement, sans que je ne m’en aperçoive, ma façon de dévier ma colère – le déni – avait installé en moi l’habitude d’éviter les gens qui m’avaient mise en colère. De plus, je traînais une lourdeur que je ne comprenais pas.

Depuis que j’ai cessé de nier ma colère, il y a un peu plus de deux ans, je n’ai eu que des choses positives à tirer de mon expérience. Les gens me respectent plus, et surtout, je sens en moi un pouvoir que je n’avais jamais ressenti auparavant. Autant les nœuds étaient denses, compacts, autant la nouvelle énergie – libérée – est puissante. J’ai retrouvé une légèreté et la vie me semble plus magique. J’ai plus d’énergie émotionnelle et de clarté intellectuelle. Je sens aussi que je mets de l’ordre dans le monde autour de moi.

Je me connais mieux, connaissant mieux mes limites, puisque j’accepte l’idée d’en avoir. L’autre me connaît mieux aussi. Je connais mieux l’autre, car je vois comment il ou elle réagit quand je lui fais part de ce qui m’a choquée dans son comportement. Nous avons une plus grande conscience de nos vulnérabilités mutuelles, de nos boutons – nos déclencheurs. Nos relations sont plus réelles, authentiques. J’accepte aussi plus facilement la colère de l’autre. Ces avantages sont apparus les premiers dans mon expérience d’acceptation de ma colère.

Voici des scénarios-types de déviation de la colère. Face à un manque de respect à son égard, (1) la personne pète sa coche (« Mon estie, toi, tu me parleras pas comme ça » et vlan!); (2) elle fait tout pour ne pas laisser voir sa colère et la ravale; (3) elle courbe l’échine (« C’est de ma faute, j’ai couru après. »); ou (4) elle est dans le déni le plus complet – comme moi avant –, elle ne fait rien, ne sent rien. Ça lui glisse comme de l’eau sur le dos d’un canard. (« J’suis un être spirituel, moi, j’suis détaché·e de mon ego. »)

Dans tous ces cas, la personne évite de contacter le bassin de colère accumulée depuis l’enfance – le bourbier – qui vibre en elle. Elle sent l’énergie monter à l’intérieur d’elle-même, mais la redirige. Elle fuit le fond de colère accumulée. Il est trop vaste, trop douloureux, trop tabou. Il lui fait peur.

La colère non exprimée finit par se transformer en haine. Lors de catharsis, quand je sortais la colère envers mon père, il me venait des « J’t’haïs! » entre les pleurs et les grognements. Le bassin de colère accumulée est jumelé à un bassin de haine équivalent.

Or que fait la haine? Non seulement elle nous sépare des autres – n’est-elle pas le contraire de l’amour? –, mais elle installe à l’intérieur de soi un sentiment de honte. Ce n’est pas correct d’haïr. Surtout si notre haine s’adresse aux personnes que l’on devrait aimer : nos parents, notre conjoint·e, nos enfants, nos meilleur·es amie·s, etc. On haït les gens que l’on devrait aimer, et ça, ce n’est pas correct. On devient une mauvaise personne, ce qui affecte l’estime de soi. De plus, on craint que ça ne paraisse. Surtout dans les milieux dits spirituels.

Donc, à force d’éprouver la colère sans l’exprimer de façon à régler les choses, graduellement la haine et la honte envahissent notre psyché. Notre champ magnétique en est affecté. Des blocages s’installent sur nos canaux d’énergie et nos fascias se rigidifient. Ainsi, l’énergie circule moins bien dans notre corps et donne lieu à des déséquilibres de toutes sortes. Par contre, l’expression saine de la colère agit comme un garde-fou contre ces troubles.

Mon expérience de déviation

Je vais te raconter comment j’en suis venue à nier ma colère, qui a été ma façon à moi de la dévier. Ce récit dévoile trois motivations qui m’apparaissaient comme des besoins : besoin de sécurité, besoin de me conformer et besoin de dorer mon image personnelle.

Quand j’étais petite, à un moment donné, je me suis fâchée fort – je ne sais plus pour quelle raison – et je me suis mise à crier. Mon père est accouru, il m’a attrapée par la nuque en la serrant fort avec sa grosse main d’homme et m’a violemment lancée sur le divan. Ce jour-là, j’ai appris qu’il était dangereux de manifester ma colère. Plus tard, à l’adolescence, ma sœur aînée gardait et je me suis fâchée – là encore je ne sais plus pour quelle raison. Suivant l’exemple de mon père, mais avec plus de zèle, elle m’a jetée par terre et m’a rouée de coups de pied. Cette expérience m’a également montré qu’il n’était pas sécuritaire d’exprimer ma colère, qu’il valait mieux la garder à l’intérieur.

À l’adolescence, il m’est arrivé à plusieurs reprises de claquer les portes parce que j’étais en colère. À chaque fois, ma mère m’a reproché ce comportement. Mais jamais elle ne m’a demandé pourquoi j’étais fâchée ni ne m’a enseigné à exprimer ma colère avec des mots, de façon paisible. Jamais je n’ai appris le vocabulaire qui m’aurait été utile dans ces circonstances. Bien sûr, j’ai appris comme toutes les filles que les femmes doivent être gentilles, souriantes, etc.  Le message était partout le même : dans les livres, les films, les émissions télévisées, etc. C’est là que j’ai réalisé que pour être aimée et réussir dans la vie – dans le monde adulte, là où je me dirigeait –, il fallait que je me conforme à ce stéréotype.

Beaucoup plus tard, j’ai été influencée par le mouvement spiritualiste. La violence y était condamnée, et avec raison. Mais là encore, aucune alternative à l’expression violente de la colère, comme le dialogue, ne m’a été offerte. Alors j’ai encore nié cette émotion, simplement parce que je voulais être une femme spirituelle.

Pendant tout ce temps, il s’est formé à l’intérieur de moi une réelle fragmentation : d’une part, la partie correcte, et d’autre part, la partie pas correcte, qui était refoulée dans mon inconscient, amalgamée à un massif de haine et de honte d’avoir de la haine. Si je récapitule mon cheminement par rapport à ça : j’ai voulu me protéger du danger, j’ai voulu être une femme qui serait aimée et j’ai voulu être une personne spirituelle.

Petit regard politique sur la question.

On accepte plus facilement l’expression violente de la colère de la part des personnes au pouvoir. Par exemple, on acceptera mieux qu’un chef d’entreprise cogne le poing sur le bureau ou parle très fort que s’il s’agit d’un simple employé. De la même façon, ces comportements sont plus facilement acceptés s’il s’agit d’un homme que d’une femme. On dira de cet homme qu’il a du caractère et sait prendre sa place, tandis qu’on dira de la femme qu’elle a un comportement hystérique ou qu’elle est dans son SPM. Les enfants doivent subir la colère de leurs parents, mais on ne leur permet pas d’exprimer la leur aussi librement. Il y a donc une dimension politique à la liberté d’exprimer sa colère. Des besoins d’ordre économique s’en mêlent souvent. Par exemple, on peut garder sa colère en-dedans au moment où elle émerge afin de garder son emploi… ou son conjoint si on est dépendante économiquement de lui.