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Infolettres

Les moonlodges

14 décembre 2022

Es-tu déjà allée dans une moonlodge? (Pardon, les gars, cette question ne s’adresse pas à vous, mais le reste de l’infolettre, oui.)

Tu connais peut-être les sweatlodges? Dans le but de les distinguer, je vais les décrire toutes les deux.

Dans les sociétés autochtones d’Amérique du Nord, les femmes avaient généralement un lieu où elles se retiraient de la vie familiale pendant leurs règles. C’était la moonlodge, ou loge de la Lune. C’était aussi un endroit où elles mettaient les enfants au monde.

Si le groupe était nomade, alors la bande était réduite en hiver et nombreuse en été, période où les familles se rassemblaient. Ainsi, tout dépendant des saisons, il y avait seulement une ou deux femmes dans la moonlodge, ou elles pouvaient être très nombreuses à y séjourner.

Dans les sociétés tribales sédentaires, les femmes se retrouvaient en assez grand nombre dans la loge, puisque le village était bien établi. Mais attention, cela dépendait si la société était patriarcale ou non.

Les retraites menstruelles communautaires se retrouvent typiquement dans les sociétés à tendance égalitaire hommes-femmes. Dans les sociétés patriarcales, la réclusion est plutôt individuelle : la femme menstruée est isolée et personne ne peut la voir, sous peine de sanctions.

À noter que dans les sociétés tribales, les femmes avaient tendance à menstruer en même temps. Leurs règles se produisaient aussi en synchronie avec certaines phases de la Lune, un phénomène tout à fait normal quand on vit sans éclairage artificiel. Cette synchronie avec l’astre de la nuit dramatisait l’événement et n’était pas sans fasciner tout le monde.

Le mot moonlodge désigne au moins deux choses : le lieu physique, soit la hutte, la maison longue, etc., et le fait pour les femmes de se rassembler dans ce lieu physique. Il a une signification supplémentaire. Dans certaines sociétés, des gens s’engageaient/s’engagent dans des groupes à tendance initiatique ou chamanique, généralement appelés Medecine Societies. Ces groupes comportaient/comportent des comités ayant chacun un rôle particulier dans la communauté, généralement axés sur la guérison. Le sous-groupe qui s’occupait/s’occupe des affaires des femmes avait/a pour nom la Loge de la Lune. Bref, le mot moonlodge désigne à la fois tout cela : le lieu, l’action et le sous-groupe.

J’aimerais te raconter une anecdote. Un jour, je suis allée dans un rassemblement de plusieurs jours à Maniwaki, dans les Hautes Laurentides (Québec). Quelques centaines de personnes étaient accueillies chaque année, vers la fin de l’été, sur ces terres algonquines. Il y avait une sweatlodge – ou hutte de sudation – qui était installée dans un coin de la forêt. Tous les jours, vu le grand nombre de participant·es à ce rassemblement, quand une sweat était terminée, une autre devenait disponible peu de temps après.

Dans une sweat, on sue, un peu comme dans un sauna, assis·es autour de pierres chauffées dans un feu attenant à la hutte. Les pratiques varient selon la tradition et l’intention de la personne qui mène la loge, mais le contexte demeure généralement rituel.

Lors de cette fête, à un moment donné, j’ai voulu participer à une sweatlodge. Je m’étais préparée, avec vêtements appropriés et tout et tout. À l’entrée de la hutte, on m’a demandé si j’étais dans mes lunes. Quand j’ai répondu oui, on m’a dit que je ne pouvais pas participer, que les femmes menstruées ne devaient pas y entrer. Quand j’ai demandé pourquoi cette restriction, on m’a dit que le pouvoir des femmes menstruées est trop fort et n’est pas compatible avec la sweat. J’avoue que sur le coup, je n’ai pas compris.

Si une telle situation s’est produite dans ta vie, j’aimerais savoir quelles raisons on t’a données. J’ai fait passablement de recherche sur l’exclusion des femmes des espaces rituels pendant leurs règles. On en retrouve un peu partout sur la planète. Les raisons varient beaucoup et sont généralement plus ou moins claires. J’ai ma petite idée là-dessus, mais j’aimerais bien connaître ton histoire si tu en as une à raconter.

Puisque la moonlodge était un lieu important pour la vie communautaire mais qu’elle était réservée aux femmes, les hommes ont voulu se donner un lieu équivalent pour mener leurs propres rituels. En Amérique du Nord, la sweatlodge était l’un de ces lieux phares.

Il faut voir tout ce que les hommes ont mis en œuvre pour imiter rituellement les cycles naturels des femmes. La littérature ethnographique abonde d’exemples de rites d’imitation menstruelle, et ce, sur tous les continents. J’ai toutes les raisons de croire que les sweatlodges font partie de ces rituels d’imitation menstruelle.

On ne doit pas s’étonner de l’existence de tels rituels d’imitation, même si au départ l’idée peut nous sembler saugrenue. Rappelons que la cataménia représente une ouverture de l’inconscient, qu’elle a tendance à provoquer des états de conscience élargie. On peut facilement imaginer que les femmes vivaient des moments assez spéciaux lors de leurs réclusions communautaires, qu’elles en ressortaient régénérées, habitées par la magie du partage énergétique, exaltées par les moments de créativité et d’échange vécus. Voir les femmes ressortir ainsi de la moonlodge ne pouvait faire autrement que de fasciner les hommes et leur donner le goût de vivre la même chose.

À notre époque, beaucoup de gens participent à des sweatlodges. C’est presque devenu une mode. Cela peut d’ailleurs devenir assez lucratif pour les organisateurs·trices. Il y a parmi ces gens des femmes qui ne connaissent pas l’ancienne pratique des moonlodges, et qui ignorent que les sweatlodges dérivent – en tant qu’imitations – de ces anciennes pratiques féminines.

On reproduit ce qui, au départ, était une imitation. Assez loufoque, n’est-ce pas? Malheureusement, on perd l’essence et le sens originel de la pratique.

Participer à une sweat n’est pas nécessairement facile ou agréable. Dépendamment du nombre de personnes présentes, le corps peut être à l’étroit, car la hutte est de faible dimension. Les pierres émettent souvent tellement de chaleur que l’expérience est éprouvante. Il y a des meneurs de sweat qui se font une réputation de faire des rituels durs, tough, en chauffant beaucoup les pierres. Plus c’est chaud, plus les participants sont braves!

Dans la moonlodge, au contraire, il n’existe/existait aucune épreuve générée artificiellement. Les femmes y vont/allaient pour se reposer, rêver, se raconter leurs rêves, faire de l’artisanat, échanger, créer, ou encore pour accoucher ou soutenir les femmes qui donnent/donnaient naissance. Bien sûr, la mise au monde pouvait être éprouvante, mais cela n’était pas délibéré. De la même façon, quand une femme revit/revivait un traumatisme, le côté éprouvant n’a/n’avait rien d’artificiellement créé.

On peut généralement reconnaître les rites masculins à leur caractère volontairement éprouvant. Les quêtes de vision des garçons, à leur puberté, comprennent des épreuves parfois très difficiles, voire dangereuses. Du côté des femmes, le fait de donner naissance comporte une bonne dose de bravoure, puisqu’une femme peut y laisser sa vie. Il se peut que les hommes aient voulu montrer qu’ils étaient aussi braves ou courageux que les femmes qui enfantent et que cela les ait portés à donner à leurs activités rituelles un caractère dur, ardu. Qu’on pense à la vie ascétique des moines et autres hommes religieux.

J’encourage les femmes à renouer avec la moonlodge, quitte à délaisser les rituels d’origine masculine. En réalisant que la loge n’est pas une affaire de bravoure, mais de partage – entre autres, avec les filles et les aïeules –, on en apprécie encore plus la valeur.

Une moonlodge est facile à organiser, car elle peut prendre place à peu près n’importe où. On peut l’appeler tente rouge ou, comme dans de nombreuses traditions sur la planète, maison des femmes. C’est un lieu où les femmes se réunissent dans un espace sécuritaire et bien à elles.

Les tentes rouges contemporaines prennent généralement la forme de cercles de parole. Typiquement mises sur pied par des groupes en périnatalité – accompagnantes à la naissance ou doulas –, elles sont de plus en plus populaires. Il existe même des tentes roses pour célébrer la ménarche et des tentes pourpres ou violettes visant à souligner la transition à la ménopause.

Bien sûr, dans nos contextes de vie, avec l’éclairage artificiel et nos horaires décousus, il est pratiquement impossible de synchroniser nos règles avec celles des autres femmes. Il est plus difficile encore de se réunir, en personne, pendant nos règles. On doit laisser aller le romantisme de la moonlodge et renoncer au pouvoir collectif et individuel que les femmes des communautés y trouvaient. Mais les cercles de parole et les cérémonies – ou rituels – peuvent être très puissants.

Il suffit pour l’instant de garder à l’esprit l’essence de ces moonlodges et de réaliser leur puissance en tant que lieux de culture, de créativité et d’aide psychologique lors des moments de transition ou de transformation.

Du côté des hommes, il suffira de se rappeler que nous avons tous et toutes accès aux états de conscience élargis. La sexualité avec une femme en cataménia peut être une porte d’accès, une fenêtre d’opportunité pour un homme qui aspire à vivre la magie à travers le plaisir et non à travers l’épreuve ou la douleur. Tous et toutes peuvent y trouver ce que, au bout du compte, tout le monde recherche. Parce que nous sommes beaucoup plus grand·es que ce qu’il n’y paraît et qu’il fait bon de se reconnecter à notre essence en présence de l’autre. C’est d’ailleurs là, selon moi, le sens véritable de la joie.

Si tu veux explorer quelque peu la question de la spiritualité en lien avec la mise au monde, les règles et la grossesse, je t’invite à regarder la vidéo La spiritualité et le corps des femmes sur mon site Web.