0
0,00 $ 0 article

Votre panier est vide.

Infolettres

La fois où j’ai dit « Fuck you! »

1 mars 2023

Il y a trois ans, un weekend, je suis allée visiter un ancien ami qui écrivait un livre. J’avais lu les premiers chapitres de son manuscrit et m’étais bien amusée. Je trouvais qu’il avait un style très vivant, unique. Comme j’ai beaucoup travaillé dans le monde de l’édition, je me suis dit : « Tiens, je vais aller l’aider, lui montrer comment faire une proposition de livre aux éditeurs et le visiter en même temps. »

Ça faisait 40 ans que je ne l’avais pas vu. Au téléphone, il était tout enthousiaste de me montrer la méthode de massage qu’il pratiquait depuis longtemps afin que je puisse le faire connaître auprès de femmes. Les cinq séances de myothérapie allaient s’étaler sur tout le weekend.

Quatre heures de route et j’arrive là, au fin fond de la campagne, avec ma voiture tout aménagée pour dormir dedans. Je savais qu’il vivait dans un espace assez restreint. De toute façon, il était clair que mon rapport avec lui n’avait rien de romantique et je voulais éviter toute situation équivoque. J’allais dormir dans ma voiture – ce que j’ai fait.

À mon arrivée en après-midi, premier traitement. Je m’abandonne. Après une bonne demi-heure, tout à coup, je le sens qui m’excite les mamelons. Je lui ôte les mains de là d’un geste ferme. Je garde quand même ma relaxation pour bien profiter du massage.

Deuxième traitement en début de soirée. Le massage est profond dans mes muscles et ça fait beaucoup de bien. Décidément c’est un bon masseur. Le toucher s’attarde à nouveau aux mamelons et je lui enlève encore les mains de là, d’un geste ferme.

La soirée passe et nous parlons de choses et d’autres. Il a une image assez stéréotypée du rôle des femmes et entretient des idées un peu misogynes, mais je comprends : il vit au fond d’un rang, dans un coin où on voit au restaurant du village le genre de bonhommes qui parlent grossièrement des femmes en les dénigrant, avec de gros rires gras.

Le lendemain avant-midi, un autre massage, même scénario. Idem l’après-midi. Je lui ôte les mains, mais je ne dis rien en dehors des périodes de massage, par exemple l’après-midi au bord du lac ou le soir en soupant. Je ne me sens même pas fâchée.

Le matin de mon départ, cinquième massage. Là, après un bon moment où je suis bien détendue et tout attentive au mouvement des doigts qui creusent mes muscles, v’la que je les sens glisser sur mon clitoris. Ah là, je les pousse d’un geste ferme, mais ne dis rien. Le massage se poursuit comme si de rien n’était.

À mon départ, près de la voiture, on jase un peu, et bisou bisou sur les joues, toujours sans rien dire au sujet des attouchements non bienvenus, je pars.

Toi, trouves-tu ça normal? Qu’aurais-tu fait à ma place? Aurais-tu fait comme moi? Penses-y bien, car nous y reviendrons.

Je dois te dire que j’ai connu ce gars-là à l’époque des communes, justement sur une terre communautaire. La pratique était à l’amour libre, le mouvement hippie avait le vent dans les voiles, et nous faisions sauter tous les tabous, en réaction à l’hypocrisie du système.

En tout cas, pendant les quatre heures de mon retour à la maison, un fort malaise a graduellement monté en moi, sans que je puisse le relier à quoi que ce soit de spécifique. Je l’ai simplement attribué au fait que des énergies avaient été mobilisées dans mon corps à cause des massages.

Les jours suivants, je me sentais vraiment mal, et cet épouvantable malaise a perduré plusieurs semaines. J’étais angoissée… jusqu’à ce que je me rende compte que oui, j’étais en beau tabarnak! Je ne pouvais plus le nier.

Comment ai-je pu ignorer ma colère pendant ce fameux weekend? Comment ai-je fait pour ne pas parler à cet homme de sa façon de profiter de mon état de relaxation pour essayer de me faire glisser dans un rapport que je ne voulais pas. J’avais été claire en lui enlevant les mains la première fois… et la deuxième… et les autres. Pourquoi était-il revenu à la charge? Pourquoi suis-je partie de chez lui sans lui en parler?

C’est là que je me suis rendu compte que je niais ma colère en général dans ma vie. « Non je n’ai pas de colère, moi. Je l’ai déjà explorée, je n’en ai plus. J’ai tout nettoyé. »

Cet événement a été bénéfique pour moi, parce que je me suis rendu compte que ma colère était emprisonnée à double… à triple tour – et plus – dans mon être.

Quelque temps plus tard, j’ai appelé cet homme pour lui faire part de mon expérience et lui dire de la façon la plus correcte possible que ses gestes m’avaient mise en colère. Il m’a ri au nez et a simplement changé de sujet. Subjectivement, j’entendais : « Une femme en colère! C’est trop ridicule! » J’ai même essayé plusieurs fois de lui en parler parce qu’il gardait le contact en m’envoyant des textos. Rien à faire, il ne m’écoutait pas et se contentait de changer de sujet. Ça me mettait chaque fois encore plus en colère.

En réalité, j’aimerais aborder ce sujet de la colère des femmes – et de la colère en général – dans mes prochaines infolettres. Pour moi, cette émotion est bénéfique, elle a plusieurs avantages. Elle est aussi intimement reliée aux difficultés qu’éprouvent ne nombreuses femmes avant leurs règles. C’est normal, les émotions sont amplifiées en cette phase.

Mon propos t’amènera à réfléchir à ce sujet trop souvent éludé. Des liens très riches se tissent entre colère et haine, ainsi qu’entre colère et pouvoir personnel et entre expression de la colère et santé mentale. Pour moi, la colère sert à garder et assainir nos relations plutôt qu’à les briser.