0
0,00 $ 0 article

Votre panier est vide.

Infolettres

Colèriage 103

12 avril 2023

– Tabarnak, j’suis tannée que tu me traites comme ça.

– Qu’est-ce que j’ai fait?…

Dans cette infolettre, je vais te parler des compétences en colèriage. Ce n’est ni un cours ni une formation. C’est juste pour te donner des idées sur les choses à surveiller au fur et à mesure que tu cesseras de dévier ta colère et que tu te mettras à l’exprimer directement. Car il y a des écueils. Et surtout, je veux te montrer à quel point ça peut être facile et l’fun d’exprimer sa colère.

Le sujet de la colère a tellement été occulté, évité, bloqué dans notre société! Or, ce n’est pas pour rien qu’il l’a été. Politiquement, cette émotion a une importante fonction, en ce sens que si on prend conscience de sa vraie nature, on se rend compte que la colère est une réelle source de pouvoir. C’est exactement comme pour les menstruations, un autre sujet fortement taboué.

En défaisant les mécanismes qui entretiennent le tabou sur ces deux sujets et en prenant conscience de leur potentiel, Wow! on défait des millénaires de perte de pouvoir personnel et collectif.

La tâche est longue, car il s’agit de dealer avec la peur et tellement de souvenirs collectifs toxiques enregistrés dans nos gènes! C’est aussi dealer avec des expériences personnelles de notre enfance, de nos journées à l’école et de notre travail comme employé·e.

Si on décide de cesser de nourrir notre bourbier, on n’a pas le choix : on doit apprendre à exprimer notre colère de façon saine. Cela revient à assainir nos relations, à régler les conflits que l’on vit, à prendre pied sur le terrain collectif et à retrouver notre vitalité… peut-être aussi notre joie d’enfance.

Les pièges à éviter

Quand on a peur d’engager une démarche, la première chose à faire est d’affronter ladite peur. La deuxième est de se donner les moyens de connaître les écueils inhérents à la démarche, afin de pouvoir les éviter, le cas échéant.

Je te présente donc les écueils à éviter sur ton parcours vers la reprise en main de ta parole de colère.

Le piège no 1 consiste à assimiler la colère à la violence, à l’agression ou à un quelconque comportement. La colère vient de la perception d’un mouvement d’énergie dans le corps. Elle ne conduit pas nécessairement à un comportement spécifique. On peut choisir de l’exprimer autrement que par la violence. On peut être très créatif·ve quant à son expression.

Le piège no 2 consiste à penser que l’on doive justifier notre colère ou lui donner un sens logique. Cette émotion n’a pas besoin d’être justifiée, pas plus que la soif ou la faim. Elle est, point. Le fait qu’elle a très souvent des racines profondes ou inconscientes dans la psyché fait en sorte qu’elle est généralement inexplicable de toute façon.

Le piège no 3 consiste, à la suite d’un événement qui nous met en colère, à rester plus de quelques jours sans parler de ses sentiments. La colère fait des ravages quand on la vit dans l’isolement. Idéalement, on en parle à la personne qui nous a offensé·e, mais si ce n’est pas possible, on la ventile auprès de quelqu’un·e en qui on a confiance… et ce, au plus vite.

Le piège no 4 consiste à présumer que notre colère s’en ira toute seule si on lui laisse le temps de partir. La colère ne part pas d’elle-même. Ou bien on l’exprime, ou bien elle va nourrir le bourbier de rage accumulée et continue son œuvre de rigidification dans le corps.

Le piège no 5 consiste à croire qu’on ne peut pas à la fois aimer une autre personne et être en colère contre elle. Au contraire, lui exprimer notre colère montre qu’on lui fait confiance. C’est quand la colère est refoulée qu’elle peut se transformer en haine… plus ou moins consciente.

Le piège no 6 consiste à associer notre colère à des aspects de soi-même qu’on n’aime pas (p. ex. « mon SPM », « ma tendance à être négatif·ve, à ne voir que le mauvais côté des choses »). La colère n’est pas mauvaise en soi et n’a pas à être associée à quelque chose de mauvais. Elle vient de notre âme et elle est notre meilleure alliée.

Le piège no 7 consiste à redouter la colère des autres, à être incapable de l’entendre ou de l’apprécier. Par effet de résonance, quand une personne exprime sa colère, cela éveille notre propre bourbier intérieur. En réalité, c’est notre propre colère que l’on redoute ou que l’on veut éviter.

Le piège no 8 consiste à présumer que, si la personne que l’on aime est en colère contre soi, elle ne peut pas nous aimer. Cette personne est en colère contre nous simplement parce qu’on a éveillé cette émotion chez elle. Ça ne veut pas dire qu’elle ne nous aime pas… ni que personne d’autre ne peut nous aimer.

Le piège no 9 consiste à présumer que la personne qui est en colère contre soi doit avoir raison (ou tort). Une relation comprend deux personnes, chacune ayant sa part de responsabilité dans la relation. Et chacune a ses raisons d’agir comme elle le fait.

Le piège no 10 consiste à essayer de se forcer à pardonner. On ne peut pas forcer le pardon. Il vient en son temps et à son heure. Il se passe beaucoup de choses dans l’invisible.

Les compétences en colèriage

Il y a de nombreuses années, lors d’un atelier que j’animais sur l’expérience des menstruations, une participante m’a demandé : « Avant d’être menstruée, un rien me met en colère. Je ne me reconnais pas. Qu’est-ce que je peux faire pour ça? »

Prise de court, j’ai répondu n’importe quoi, à savoir que ce n’est pas grave d’être en colère. Évidemment c’était grave pour cette femme : elle était préoccupée par sa capacité de conserver de bonnes relations.

À l’époque, la colère était un sujet hypertabou pour moi. Si un bouton Rewind m’était fourni pour pouvoir revenir en arrière, je dirais à cette femme qu’il est possible d’exprimer sa colère sans nuire à ses relations. Qu’il suffit pour cela de développer l’art du colèriage, soit des compétences en expression saine de la colère.

Les compétences en colèriage sont les suivantes : savoir se calmer, savoir s’observer soi-même et étudier la situation, savoir s’exprimer de façon constructive et savoir écouter l’autre.

Tout d’abord, on se calme et on étudie la situation à froid. Il est utile de s’observer soi-même, p. ex. d’être en contact avec notre peur d’exprimer notre colère, peur d’être mal reçu·e, etc. Tenir un journal personnel peut aussi être d’une grande aide pour déterrer des racines ou ramener à la surface nos traumatismes et y voir plus clair.

Parfois, ça aide d’avoir une personne en qui on a totalement confiance qui va nous aider à démêler tout ça. Évidemment, cette personne n’est pas là pour parler contre l’autre. En nous exprimant, en mettant des mots sur ce que l’on vit, on laisse des subtilités émerger. On nettoie notre bourbier intérieur.

Il est particulièrement important d’étudier la situation quand la personne qui nous a mise en colère occupe une position d’autorité. Exprimer sa colère envers lui ou elle peut nous plonger dans une situation délicate. Le risque d’être congédié·e, le risque de perdre un·e conjoint·e, tout ça est à prendre en considération.

Savoir s’exprimer de façon constructive est sans doute la plus grande compétence en colèriage.

1. On parle au je et non au tu, on parle de notre propre expérience et on évite d’accuser l’autre personne. L’accuser la mettrait carrément sur la défensive.

2. On est spécifique quant à ce qui nous a mis·e en colère.

3. On respecte les limites de l’autre personne, p. ex. en lui permettant de prendre une pause dans la conversation.

4. On est super honnête, en ce sens qu’on ne cache pas nos vulnérabilités, qu’on accepte de parler de tous les aspects de notre colère, comme la tristesse, la peur, etc.

5. On évite de s’excuser pour notre colère.

Savoir écouter l’autre est une autre compétence importante.

1. On fait comprendre à la personne nous a offensé·e qu’on veut connaître son point de vue, sa version des faits. Quand elle nous la donne, on porte une attention particulière aux feelings qu’elle exprime. Parfois il faut savoir lire entre les lignes.

2. On valide, avec ses mots à elle, ce qu’on comprend de la situation. Cela nous permet d’être certain·e d’être sur la bonne voie et d’éviter de faire de fausses suppositions. Il n’y a rien de tel que les fausses suppositions pour faire perpétuer le conflit.

3. On invite l’autre à exprimer sa colère, à condition qu’elle nous parle de façon respectueuse. S’il y a lieu, on s’excuse de ne pas avoir été réceptif·ve à sa colère par le passé et on lui dit qu’on le sera dorénavant.

Dans tout ce processus, on entretient une attitude positive, c.-à-d. qu’on évite de présumer que la personne a – ou avait – une mauvaise intention. On s’en aperçoit bien assez vite si c’est le cas.

Si elle refuse de nous écouter, si elle nous rit au nez, si elle essaie de nous intimider ou de nous manipuler, on s’en aperçoit et on peut alors décider de couper la relation. On n’aura pas perdu grand-chose.

Développer ces compétences nous permet de bénéficier des formidables avantages de la colère, notamment : mieux se connaître soi-même, mieux connaître l’autre, naviguer avec plus de succès dans l’univers des relations et s’établir une réelle assise dans le monde… sans compter une meilleure santé, un bien-être accru, plus de légèreté, plus de joie et plus de vitalité.

Oser être en colère

Un jour, j’ai participé à un atelier de théâtre où l’animatrice nous a demandé de se placer deux par deux, de s’assoir face à face et de faire comme si on était en colère en émettant des sons, des paroles. Ma partenaire n’a émis que quelques petits sons étouffés. Elle ne pouvait faire plus. Quant à moi, j’ai parlé très fort, comme pour intimider. J’ai même eu peur de moi-même.

Ce moment m’a été très révélateur. Ni ma partenaire ni moi ne savions comment bien exprimer notre colère. Nous étions de piètres actrices… comme les autres participant·es, d’ailleurs.

Plus récemment, après m’être résolue à cesser de nier ma colère, j’ai vécu un événement qui m’a vraiment fâchée. J’étais bien décidée à montrer que je l’étais, mais j’avais peur en même temps. Je me suis exprimée de façon trop douce. Je n’étais vraiment pas crédible. Ma voix était trop éteinte, trop assourdie.

Quand on exprime notre colère, on est plus crédible si notre voix et notre attitude collent à la situation. Or, notre corps a perdu depuis longtemps sa capacité d’exprimer cette émotion… généralement depuis l’enfance.

Dans une démarche de rééducation, tu peux pratiquer ta voix de colère et l’attitude corporelle de circonstance. Tu peux t’enregistrer en audio ou vidéo et t’écouter/regarder. Tu peux aussi t’entraîner devant un miroir.

Pas n’importe quoi!

Je n’insisterai jamais assez sur l’examen des motifs de notre colère. Il est important de voir d’où nous vient cette impulsion. Vient-elle de notre âme, de notre besoin fondamental de protéger notre intégrité physique et psychologique ainsi que notre estime personnelle? De protéger aussi notre autonomie? Est-elle motivée par des caprices? Vient-elle de notre intention d’intimider ou de manipuler l’autre?

Car toutes les colères ne sont pas de vraies colères. Certaines sont fausses, en ce sens qu’elles viennent non pas de notre âme, mais de notre ego. De cette partie de soi qui est insecure et qui veut prendre le contrôle. Ou de cette partie de soi qui a été endoctrinée et a perdu le sens du réel. Je reviendrai sur ce dernier cas dans une prochaine infolettre, en parlant des wokes.

La colère est un cri de l’âme qui nous protège de l’aliénation – ou éloignement de soi. Il importe de lui redonner sa place plutôt que de l’enfermer dans un donjon. C’est elle la belle au bois dormant.

En attendant le bon moment

D’ici à ce qu’un nombre suffisant de personnes se réapproprient leur colère et retrouvent leur voix, certaines situations commandent le silence… sous peine de sanctions ciblées. Des gens sont morts ou ont vu leur vie détruite pour avoir simplement dénoncé des abus perpétrés par les personnes au pouvoir.

Si on sent de l’intérieur de notre être qu’on doit prendre la parole en public ou sur les réseaux sociaux, il est bon de s’assurer que l’impulsion vient d’un endroit dans notre être solidement connecté à notre cœur.

Si on pratique l’art du colèriage uniquement dans notre vie privée, cela nous donne tout de même un grand acquis : on retrouve notre voix. Une voix qui porte quand même bien loin et bien profond, car, justement, elle vient du cœur.

Note… et pas la moindre

Je n’ai pas assez parlé d’une possibilité qui fait des merveilles : la psychothérapie. Je crois qu’une expérience en jeune âge marquée par la violence – de nature physique ou psychologique – ou par des abus sexuels laisse des marques si profondes qu’il est utile, voire nécessaire, de se faire aider/accompagner. Cela permet de faire un gros débroussaillage dans le bourbier intérieur. La charge est ainsi moins grande quand vient le temps d’apprendre et de pratiquer les compétences en colèriage.